Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 10:46

La Légende du goéland blanc
Daniel Valiant
Ciel des Sables - Illustrations Pierre Joubert
La Caverne du Temps - Illustrations Pierre Joubert

 

La légende du Goéland blanc se déroule en Norvège, à la fin du 10° siècle, quand le roi Olav Tryggvesson tente d'unifier le pays en y imposant le christianisme, avec l'appui de la papauté. Une citée libre de Vikings, Blaakilde ou le Pays Bleu, conduite par son Jarl Warmoroy Barbe de Neige refuse le joug du roi et la conversion forcée. Anéantie par les armées du roi, tout l'espoir du Pays Bleu repose en la quête de sept fugitifs, cherchant une autre terre pour y vivre libres, une quête qui va les mener d'Islande au Groenland, puis jusqu'en Amérique, pour finir dans un archipel mystérieux, dont le secret mènera Cédric Asgard, le héros de cette aventure, à affronter le Temps en personne.

 

 

 

 

Le destin de Blaakilde

Au X° siècle, le pays de Blaakilde, une communauté libre de Vikings vivant sous l’autorité d’un Jarl élu à vie, doit faire face, comme tant d’autres, aux menées expansionnistes du roi Olav Tryggvesson qui, avec l’appui de l’Eglise et sous prétexte de christianisation de la Norvège, en profite pour se tailler un royaume par le sang et le feu, un peu comme Charlemagne, deux siècle plus tôt, s’en allait «évangéliser» les Saxons.

Le héros de Ciel des Sables et de La Caverne du Temps se nomme Cédric Asgard. Son père, Warmoroy Barbe de Neige est le Jarl de Blaakilde. Il a pour meilleurs amis Daneris et sa sœur Inwild qui, orphelins de mère, ont été élevés avec lui. Les trois adolescents coulent une existence paisible comme on dit, en attendant le retour des guerriers de Blaakilde, en expédition quelque part en Europe (car ces Vikings, présentés par Daniel Valiant comme épris de paix, d’amour, fleurs bleues et tout, sont de même de grands navigateurs-pillards, sans ça, ils ne seraient pas des Vikings, hein) :

«Le navire gît au milieu des autres vaisseaux de la flotte de Blaakilde. Ses marins l’ont halé sans peine à dix pas du rivage, hors de portée des vagues. Ils le délestent de sa cargaison.
Les habitants voient passer devant eux le produit de la « campagne de pêche » : ainsi dénomment-ils le pillage. Des coffres de bois renforcés de fer qui renferment des étoffes de soie, des armes, s’entassent sous leurs yeux…
- Les Saxons se souviendront de notre passage ! raille le J
arl.»

Mais de retour à Blaakilde, Warmoroy n’a que de sombres nouvelles à annoncer à la communauté : le roi Olav les somme de se convertir et de se soumettre, tant à sa propre religion qu’à son sceptre. A l’unanimité, Blaakilde décide de résister. Mais trahi par un Jarl voisin, félon et rusé politique, Sveïnn Main de Glace, Warmoroy est assassiné. C’est le père de Daneris qui lui succède, tandis que Blaakilde se prépare à la guerre. Entre temps, Cédric découvre que son propre oncle, Volsunn Hache de Bois a trempé dans le complot contre son frère défunt.

L’armée d’Olav attaque la province de Blaakilde, dont la flotte et les armées sont écrasées. Assiégés dans la ville avec son peuple, le Jarl Aslak Cheveux de Givre, le père de Daneris donc, cherche à négocier avec Olav, avant d’être assassiné à son tour. Cédric Asgard est alors élu à l’unanimité. Mais cela n’empêchera pas Blaakilde de tomber sous les coups de Tryggvesson, qui épargne la ville, mais comme le fera plus tard Edouard III d’Angleterre avec les bourgeois de Calais, demande à ce que sept d’entre eux soient bannis à jamais. Cédric, Daneris et Inwild, Tosty le Scalde, plus quelques compagnons et enfin Volsunn le traître, qui de façon inattendue envoie bouler le roi et choisit de suivre les bannis (oui dans Ciel des Sables les méchants sont insaisissables et virent souvent au héros, alors que les héros de départ finissent parfois mal) :

« Alors Volsunn s’avance et la plainte lugubre s’amplifie.
- Approche, Volsunn Asgard, toi à qui je dois tant !
-L’homme aux cheveux roux s’exécute docilement.
- Accepterais-tu enfin d’être des miens ? dit la voix engageante d’Olav. Je te renouvelle mon offre.
- Sire Olav, tu m’offres bien peu en échange des services que je t’ai rendus. Ne vois-tu pas que Blaakilde n’existe plus ? Tu en bannis sept, les meilleurs s’immolent, et tous suivraient si c’était possible. Ma seule récompense sera de partager le sort des condamnés.
Le monarque se dresse. Il dissimule mal sa colère.
- A ton aise ! raille-t-il. Et tu seras l
e sixième ! »

Le dernier est un prêtre chrétien, Priest, qui, révolté par l’usage que le roi Olav fait du christianisme, s’oppose à sa loi. Pour les punir, Olav marque au fer rouge Cédric et le prêtre et leur laisse sept jours pour fuir... Les voilà partis pour une pérégrination qui les emmènera bien loin, sur les traces d’Erik le Rouge en fait, en quête d’une Terre promise et vierge où ils pourraient tout reconstruire et emmener leur peuple captif, un peu comme Moïse guidant les Hébreux hors d’Egypte.

Mais les voies des dieux et des goélands envoyés des dieux sont impénétrables et de toute façon fantaisistes. Les fugitifs réussiront partiellement à accomplir leur rêve, en même temps qu’au cours de leur quête les dissensions se feront jour, entre ceux dont les buts au final, diffèrent entre eux, les uns cherchant une terre de mission et de prêche, les autre un « paradis d’amour », les autres l’aventure, les autres plus prosaïquement une terre d’accueil où implanter un peuple, quel qu’en soit le prix.

Traversée de références aux légendes scandinaves ou aux récits historiques, la saga du goéland blanc tresse avec habileté les mythes qui inspireront aussi l’heroïc fantasy et l’histoire réelle du peuple viking, présentée sous un jour tout à fait nouveau par rapport à l’imaginaire populaire, en raison de la légende noire qu’en ont laissé, au Moyen Age, les moines épouvantés

La saga d’Olav Tryggvesson

La Légende du Goéland blanc s’appuie en partie sur des faits réels et mêle, comme un roman du genre, personnages de fictions et personnages historiques. Plutôt que de vous retracer une ennuyeuse histoire de la Norvège aux abords de l’an mil, il est plus captivant de vous raconter la vie réelle et légendaire d’Olav Tryggvesson dont les aventures sont dignes d’une saga à lui tout seul.

Olav Tryggvesson, (963-1000) eut une vie des plus aventureuses. Il était le fils de Trygve Olvasson, qui était roi de Viken et petit-fils d’Harald Beaux cheveux qui avait déjà commencé l’unification par la force de la Norvège. Avec les siens Olav dut s’enfuir, menacé de mort par son oncle, le second roi de Norvège, Eric Hache sanglante, qui trouvait commode d’éliminer ses frères et leur famille pour s’assurer un règne plus serein. La légende dit même que le futur roi Olav fut esclave en Estonie. Ce qui est sûr c’est qu’il passa son enfance en Russie, à Novgorod, sous la protection du roi Valdemar de Kiev (les Vikings faisaient beaucoup de commerce et avaient des comptoirs prospères là-bas). Olav, devenu grand, se battit pour le compte de l’empereur d’Allemagne Othon III et le roi mythique Burislav mentionné dans les sagas islandaises, dont il aurait épousé la fille.

 

A la mort de Burislav, il serait parti en mer, et comme tant d’autres Vikings, aurait piraté les côtes anglaises et françaises, jusqu’à ce qu’un ermite le convertisse au christianisme, dans les îles Sorlingues. Il aurait alors arrêté ses expéditions parce que voler, pour un chrétien, c’est mal, et aurait alors commencé d’attaquer et de piller les païens, parce que ça, c’est permis.

 

Il épouse alors Gilda, la sœur du roi de Dublin, et passe quelques temps en Angleterre et en Irlande, avant de revenir tenter sa chance en Norvège, son oncle le roi Erik Hache sanglante se faisant de plus en plus impopulaire. Il arrive donc en Norvège en 995, est reconnu comme roi à l’unanimité, et commence donc à vouloir christianiser tout le monde, de gré ou de force. On a parfois dit qu’Olav avait en fait l’ambition d’unifier toute la Scandinavie, que ce soit par la guerre ou le mariage. Il aurait songé à épouser Sigrid reine de Suède, mais aurait dû renoncé car la reine ne voulait pas du tout, mais alors pas du tout, se convertir. Au lieu de cela il épousa Thyre, la sœur du roi du Danemark, ce qui ne fut pas une très bonne idée car cela l’entraîna dans les querelles intestines de cette dynastie et il périt dans une bataille navale, ayant contre lui une flotte composée d’éléments danois, suédois et wendes, plus les Norvégiens du Jarl Haakon. Olav se battit jusqu’au bout sur son vaisseau le « Long Serpent » et pour ne pas être capturé se jeta dans la mer où il disparut à jamais. Une légende chrétienne prétendit qu’il flotta miraculeusement et finit comme ermite à Jérusalem.

Mais Olav n’avait rien d’un saint, c’était un chef habile et énergique, ambitieux et parfois cruel, qui avait une réputation d’être aussi féroce envers ses ennemis que généreux avec ses amis. Les exploits historico-légendaires d’Olav Tryggvesson sont racontés, comme ceux des autres rois de Norvège, dans la Heimskringla, une collection de sagas racontées par le poète Snorri Sturluson, (1179-1242).

Son œuvre de christianisation fut pendant longtemps jugée aussi pieuse que celle d’un Charlemagne. Avec La Légende du goéland blanc, Daniel Valiant remet les pendules à l’heure, si l’on peut dire, les sensibilités modernes ayant évolué sur ces questions de conversion.

 

La société viking au temps des Asgard

Au rebours de La Fille du roi de la mer, qui reprend les poncifs du genre sur les Vikings, barbares féroces et peu futés, dignes représentants des « brutes blondes » de Nietzsche, Ciel des Sables et La Caverne du Temps nous montrent des communautés vikings attachées à la liberté, et même à un fonctionnement démocratique dans leurs institutions qui n’a rien à envier à la démocratie athénienne, bien au contraire, puisque les femmes mariées y ont droit de vote au même titre que les hommes « ayant participé à au moins une expédition ». L’Althing est donc l’équivalent de l’agora, mais une agora mixte, où « se discutent les affaires et votent les lois... Toute la population a le devoir de participer à l’Althing. Celui qui omet d’y venir risque de perdre ses droits de Cité. Les enfants, eux, peuvent assister aux séances à a partir de treize ans. »

Le chef élu à vie de la communauté est donc le Jarl. A l’instar des sociétés tribales, le chef est souvent élu de préférence au sein d’une ou de plusieurs grandes familles. A la mort de Warmoroy, et malgré ses piètres qualités, Volsunn son frère est pressenti pour le remplacer, et ce n’est qu’une fois convaincu de trahison qu’il devra céder son pouvoir à Aslak, le père de Daneris, et plus tard, malgré son jeune âge, Cédric Asgard devient sans difficulté Jarl de Blaakilde.

Aslak Cheveux de Givre, nous dit Tosty le Scalde présentant l’assemblée au marin islandais Askil, est non seulement un des chefs de la province, élus comme lui et faisant donc parti d’une sorte de conseil politique, mais c’est aussi « un prêtre... qui sait déchiffrer les Runes magiques. Il est le dépositaire de la tradition sacrée du Pays Bleu. » Nous apprenons aussi qu’il « détient depuis de longues années le pouvoir de haute justice ». Il semble donc que les pouvoirs judiciaire et politique n’étaient pas concentrés dans la même main. Par contre, le fait d’être « prêtre », n’empêche visiblement pas d’être chef de guerre ou même Jarl.

 

Les femmes ont aussi un rôle à jouer, celui de « gardienne du foyer ». Une femme mariée porte son trousseau de clefs à la ceinture, de métal simple ou précieux suivant le rang, et il est probable que les affaires domestiques relèvent plus de son autorité que de celle de son mari. Elle semble aussi pouvoir exercer une forme de régence sans difficulté. Quand Volsunn veut juger Priest, il se heurte à l’opposition de la population qui lui remontre qu’en l’absence du Jarl, c’est à la Jarlinne Aarlis, sa femme, à qui il a remis son autorité, comme cela nous est très explicitement déclaré :

«La Jarlinne Aarlis s’avança. A sa ceinture tintaient les clefs d’or et d’argent, symbole de son haut rang : la première femme des peuples et de la cité de Blaakilde était la dépositaire des clefs sacrées qui ouvraient la grande Demeure, le logis réservé aux hôtes de la Cité et la maison du Jarl son mari.
- En l’absence de notre Jarl parti en expédition, n’est-ce pas moi, sa femme, qui détiens l’autorité ?»

De même l’activité économique se partage entre expéditions et agriculture-élevage, ce ne sont pas uniquement des guerriers pillards occupés à banqueter entre deux massacres : « Chacun lance un regard heureux au pays retrouvé. Dans les champs, les paysans installent des épouvantails de bois destinés à la protection des moissons. Dans la prairie, les bergères et les pâtres conduisent les troupeaux. Au lavoir, les cris des lavandières résonnent jusqu’aux oreilles des marins. » Bien sûr, à aucun moment on ne voit ces « gentils » Vikings piller et brûler les côtes, sauf qu’au début du roman ils reviennent d’une expédition avec le produit de la « campagne de pêche »... On passe vite à autre chose et le peuple de Blaakilde deviendra victime à son tour de la convoitise de ses voisins.

 

Christianisme, Dieux et trolls

 

Christianisme contre paganisme, ce qui change, c’est que pour une fois dans les Signe de Piste, les méchants ne sont pas les païens. La religion n’est pas abordée en long et en large, c’est surtout un monde traversé de féeries, de présages, de dieux et déesses, dans lequel le christianisme aura fort à faire.

Daniel Valiant oppose ainsi deux figures antinomiques de la « conversion ». Olav Tryggvesson, brutal et ambitieux, pour qui le choix est simple : mourir ou accepter le baptême. Tout au contraire c’est par la douceur que Priest réussira à faire des adeptes du christianisme, à commencer par Inwild.

«- Je regarde ma sœur et Priest : ils mènent un curieux manège depuis ce matin !
- Ah ! Tu ne sais pas ? Elle s’entiche de plus en plus de notre prêtre. Elle veut se convertir et devenir la première baptisée du nouveau continent !
- Inwild va devenir chrétienne ? s’effraya Daneris.
- Pourquoi pas ? sourit Cédric. Dans le Pays neuf, chacun sera libre. Peu à peu, je me suis fait à cette idée de liberté, et je n’empêcherai personne de devenir chrétien, surtout pas Inwild ! J’ai beaucoup réfléchi, tu sais. De Priest, nous n’avons reçu que du bien. Il veut construire une é
glise…»

Cela dit, le prêtre lui-même mit de l’eau dans son vin de messe au fur et à mesure qu’il côtoyait les païens. Car au début de Ciel des sables, s’il est emprisonné, c’est qu’à peine arrivé à Blaakilde et bien reçu selon les règles de l’hospitalité, il saccageait « le soir même » le temple et enjoignait à la population de brûler les images des dieux vikings. Mais un soir où Tosty le Scalde raconte pour ses compagnons transis et fugitifs la création du monde selon les hommes du nord, frappé par la ressemblance de cette cosmogonie avec la Genèse, Priest se dit que les hommes « s’exprimaient de façon différente pour évoquer les mêmes sujets. »

Tous les Vikings ne se convertissent pas, à commencer par Cédric Asgard – et comment le pourrait-il, lui qui a un contact si privilégié avec les dieux de l’Ase ? – et l’on arrive à la fin à une cohabitation pacifique des deux communautés religieuses, puisque Priest et Inwild fondent chacun une cité où ils peuvent prêcher et vivre leur croyance, et puisque l’union de Vanaëlle, dont le peuple est chrétien, et de Cédric confirme la cohabitation sans fusion des Gaëls et des Vikings…

Mais toute la saga de Ciel des Sables est habitée par un monde de dieux, d’émissaires surnaturels comme le goéland, qui place ce roman aux frontières du fantastique et de l’heroïc fantasy, c’est-à-dire le médiéval fantastique, dont par ailleurs l’heroïc fantasy s’inspire souvent. Cependant le glissement franc dans le merveilleux ou le fantastique ne se fait jamais totalement. Cédric, plusieurs fois rencontrera des créatures surnaturelles, issues du monde des dieux, souvent féminines : «Magdena la Devineresse, l’Immortelle, la femme de Jotunheim», la «Voix d’Odin», dans Ciel des Sables qui lui prédit qu’il devra affronter «les fées, les trolls et les géants, l’univers liquide» ; Grimhilda, la Gardienne de la Caverne du Temps ; et le Temps lui-même qu’il affrontera en combat singulier, ce qui infléchira son destin de façon curieuse… Mais alors que dans les romans arthuriens par exemple, ces rencontres-là ne sont pas tus, mais commentés, dévoilés, Cédric tait ses incursions dans le surnaturel, et autour de lui ses compagnons subissent les aléas d’une aventure dont ils ne soupçonnent pas le ressort secret. Dans les récits fantastiques, le surnaturel est également tu par le héros qui le vit, écartelé entre deux mondes parallèles, le nôtre et l’au-delà. De même il ne dévoilera jamais l’existence de la Caverne du Temps dans l’archipel de Havmaland, et sa disparition restera toujours inexpliquée aux habitants de ces îles. Quand les compagnons de Cédric sont confrontés fortuitement à un phénomène étrange, (la prise du saumon par le goéland, l’attaque de la flotte du roi Olav par les oiseaux de mer), Cédric ne leur livre pas d’explication. D’ailleurs, si les aventures de Cédric dans l’Autre Monde ressortent indéniablement d’un contact avec le merveilleux, les incursions des goélands dans le monde des hommes ont, comme souvent les accrocs fantastiques dans la réalité, une double explication, l’une surnaturelle l’autre, «réaliste», même si peu convaincante.

Les héros :

Pour conclure, voici une brève présentation des quatre adolescents, principaux héros de cette histoire :

Cédric Asgard, dit Tête de Fer : Comme son nom l’indique, sa qualité et son défaut majeurs prennent source dans son obstination. C’est cette même obstination qui pousse ses compagnons à l’accompagner dans sa quête du Pays d’Amour, à découvrir l’Amérique, à fonder, une fois chassés du Continent, une autre Blaakilde dans l’archipel de Havmaland (en cachant soigneusement à son peuple, que ces îles sont en fait déjà habitées). Car lorsqu’il a une idée en tête, rien ne peut l’en faire dévier, et il n’hésite pas ainsi à taire certains faits ou à les nier, pour peu qu’ils l’obligeraient à renoncer à ses projets. Cet entêtement peut aussi devenir inflexibilité, notamment lors de l’exécution de Sveïnn Main de Glace, qui amorce la première faille dans son amitié avec Daneris, et son refus de porter secours au fils d’Olav Tryggvesson, Harald, alors que Daneris l’en priait, ce qui aura pour conséquence une rupture de trente ans entre les deux amis. Cédric est au début de l’aventure un adolescent fougueux, que les dieux « ont doté d’un furieux caractère, comme le père. » Mais sa quête et le pouvoir qui lui incombe va l’isoler de plus en plus, ce que lui prédit Magdena la Devineresse : « Tu découvriras une terre où ceux de Blaakilde vivront heureux, mais toi, jamais ton âme ne sera en repos. Ton corps souffrira jusqu’à l’ultime épreuve… » ; et ce que Daneris résume ainsi :

« Tu atteindras le sommet, Cédric. Un sommet d’où tu tomberas un jour, car tu es de ceux qui reviennent en bas pour recommencer à grimper… ou pour mourir. » Son règne, tel qu’il le raconte à la fin, est en effet une longue suite de catastrophes et de deuils, un enchaînement d’erreurs qu’il commet et qui lui fera perdre tragiquement presque tous ceux qu’il aime, malgré lui sans doute, mais un peu comme une série d’actes inconscients qui l’entraînent effectivement vers cette fin d’un roi qui disparaît dans les entrailles du sol et dont on n’entendra plus jamais parler, sauf dans les légendes.

Au physique, Cédric est très beau, blond, les yeux bleus, avec un regard particulier : « Les yeux de Cédric se détachent de son visage. Ils gardent dans leur eau miroitante un point sombre toujours fixé au-delà de la réalité. Le bleu mouvant de son regard insondable, à la nuance des fjords sous ciel d’azur, donne le vertige. » Lorsque Cédric veut charmer, ses yeux dégagent une étrange chaleur. Mais lorsqu’il se laisse emporter par la fureur, ou son démon de l’excès, hubris comme aurait dit un ancien Grec, le point sombre envahit ses pupilles et ses yeux deviennent noirs. Ce côté vertigineux exprime très bien sa faille intérieure, telle que Daneris le déclare à Inwild : « Cédric est un être étrange, insaisissable… Personne ne le connaîtra jamais, il restera seul toute sa vie. C’est ce qui fait sa force et causera sa perte… » D’ailleurs, dans le roman, beaucoup de héros affichent leur destin ou leur rôle dans l’histoire, dans la couleur particulière de leurs yeux.

Daneris l’Arbre Ténébreux, est ainsi le pendant mesuré et réfléchi du fougueux Cédric, silencieux et pondéré. Physiquement, il est aussi tout son contraire, cheveux et yeux sombres. Mais c’est loin d’être un personnage effacé, il s’oppose plusieurs fois à Cédric, et violemment. Pour finir, il reviendra à la fin du règne de son ami, un peu comme un Commandeur, pour lui rappeler « Je suis venu pour toucher mon dû. » Toute sa relation avec Cédric est sous le signe d’une amitié impossible, manquée. Sa brève et étrange complicité le temps d’un long regard échange avec le fils d’Olav, Harald, lui fait entrevoir ce qui aurait pu être avec Cédric, et ce moment magique se passe à la fin entre Gaël, le fils de Cédric et lui-même :

«L’Arbre Ténébreux plonge son regard dans les yeux bleus de Gaël, profonds comme les fjords. Le vrai Cédric est là devant lui, et Daneris se retrouve tout entier dans ce miroir insondable.
Gaël n’esquive pas l’œil sombre de l’homme, il y voit passer des taches blanches, pareilles à un vol de goélands, elles fuient très vite… Le garçon sent son cœur battre pour la première fois.
Cédric comprend qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire entre l’homme et l’enfant, quelque chose d’inexprimable qui aurait dû arriver, il y a trente ans, entre Daneris et lui. Et aujourd’hui Gaël le rempl
ace…»

Inwild Source Bleue : Sœur de Daneris, c’est aussi le premier amour de Cédric, mais qui sera évincé par Vanaëlle. Inwild hésite d’ailleurs longtemps, dans ses liens avec le garçon, entre le rôle de la grande sœur maternelle et compréhensive, et celui de future fiancée. D’ailleurs Cédric le lui déclare sans détour : « Semblable à ma mère, Inwild, tu es femme de Blaakilde, et je t’aime… » Très féminine, peut-être un peu trop douce, un peu trop raisonnable pour la personnalité fantasque de Cédric, c’est l’héroïne stéréotypée des aventures, la fille gentille au grand cœur qui panse le guerrier et suit son héros. Il est vrai que la seule fois où elle se rebelle contre Cédric, elle commettra l’erreur fatale contre laquelle l’avait mis en garde son frère, celle de demander au garçon de « choisir ». Car Cédric semble un partisan du polyamour, dans une théorie très seventies d’amour universel :

« Car pour Cédric, quand on aime, il ne peut y avoir de choix. Le véritable amour, c’est celui qui fait que l’on devient disponible pour tous : aimer un seul être, cela n’existe pas, il s’agit alors d’égoïsme. L’amour ne se mesure pas. On se donne sans partage et sans condition. Mais à cause d’Inwild, il va être obligé d’agir contre son cœur et sa pensée. Forcé de choisir, il a décidé de se tourner vers Vanaëlle, la seule qui ne lui ait rien demandé… » Les yeux d’Inwild sont bleu sombre, couleur de nuit et pailletés d’or. Ce symbole de la nuit est d’ailleurs aussi opposé cosmiquement à Vanaëlle, que Cédric décrit ainsi à Daneris :

«- Est-elle vraiment si belle ?
- Oh ! … belle ? Je ne peux pas t’expliquer. Il faudrait la voir…
Le regard de Cédric reflétait une sorte d’extase tandis qu’il évoquait à Daneris sa rencontre avec Vanaëlle, l’étrange créature de l’île.
- Ecoute : même quand il se trouve dans son dos, elle reçoit le soleil sur la façade, mon vieux ! Je ne saurais te dire m
ieux…»

A part cela, Vanaëlle, en bonne Irlandaise, a les yeux verts, des taches de rousseur, un nez mutin, avec de « longs cheveux châtains aux reflets roux », une vraie Celte, quoi, aussi volontaire et batailleuse que Cédric, qui trouve en elle sa véritable partenaire, son ego féminin. Aimant les chevauchées, la chasse, la pêche, Vanaëlle n’a rien de la douce épouse au foyer. Là où Inwild s’efface pour finalement revendiquer, Vanaëlle ne cesse de provoquer Cédric, de le taquiner ou de l’irriter, tout en ayant l’air de se passer de lui parfaitement le reste du temps, ce qui emportera peut-être la décision du garçon. « L’échange de regards magique » qui a lieu entre Daneris et Harald, puis Daneris et Gaël, se produit avec Vanaëlle, le soir même de sa rupture avec son ami-frère. Leur union sera aussi celle de deux peuples, puisque Vanaëlle sera élue reine des Gaëls.

Enfin, nous ne pouvons conclure cette présentation de La Légende du goéland blanc sans mentionner que tout le long du livre, la saga d’Erik le Rouge s’entremêle à la quête de Cédric et que l’Amérique découverte par les Vikings joue un rôle essentiel dans les aventures de nos héros…

Sandrine Alexie

Nampilly, mars 2005

CIEL DES SABLES

CIEL DES SABLES

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : IMAGINARÊVE, Le blog de Jeanne de ROZEREUIL et Daniel ROUSSEAU
  • : Contes, Romans et textes sur les aquarelles et peintures de mon épouse Brigitte. Mais aussi commentaires sur la littérature d'aujourd'hui et autres potins d'actualités. Sans oublier des photos... notamment de Bourgogne, mais pas seulement. Ah, image quand tu nous tiens !
  • Contact

Profil

  • DANIEL-JACQUES-MARCEL ROUSSEAU
  • Plus de 50 ans, mais d'esprit je me sens comme à 15 ans, j'adore lire, raconter, voyager, jouer sur scène, je dis aux Humains mes frères : chaque être est unique, nous sommes les yeux de l'Univers, regardons-nous en ami pour un monde meilleur.
  • Plus de 50 ans, mais d'esprit je me sens comme à 15 ans, j'adore lire, raconter, voyager, jouer sur scène, je dis aux Humains mes frères : chaque être est unique, nous sommes les yeux de l'Univers, regardons-nous en ami pour un monde meilleur.

Texte Libre

Rechercher

Archives

Pages